Aux origines de l'équitation sans mors
- Anne-Sophie Tréhour
- 6 oct. 2015
- 5 min de lecture
Nous ne connaissons que peu de choses sur l’histoire de l’équitation sans mors.
Dans l’imaginaire collectif, les brides sans-mors étaient utilisées avant que ne soit inventé le mors mais la réalité est tout autre. Les chevaux ont été domestiqués il y a environ 50 000 ans et d'abord utilisés pour la viande et le lait, avant d'être employés dans l'agriculture et le transport voilà 5 000 ans. Les chevaux ont été domestiqués assez tardivement par rapport à d'autres animaux, et la façon dont ils ont été « harnachés » a découlé des méthodes utilisées pour le contrôle d'animaux domestiqués plus tôt.
Dans les endroits où le boeuf était utilisé le contrôle était obtenu par un anneau passé dans le nez. Cela est sujet à débat mais certains historiens pensent que l’anneau nasal aurait été utilisé sur les chevaux également puis abandonné rapidement en raison de la fragilité du cartilage nasal des chevaux pour être remplacé par un anneau ou un lien en cuir placé autour de la mâchoire inférieure.

Chez les Numides africains les ânes étaient guidés avec une simple lanière placée autour de leur encolure, et c’est tout naturellement qu’ils ont réutilisé cette méthode sur les chevaux lorsque ceux-ci on été introduits chez eux, il y a environ 3000 ans. Comme le relate Strabon en 58 avant JC, les cavaliers Numides étaient particulièrement remarquables. Ils montaient à cru de petits chevaux rustiques et particulièrement fougueux, qu'ils dirigeaient en parfaite harmonie, sans mors dans la bouche, avec seulement une corde autour de l'encolure, ce qui leur valait de la part des romains le qualificatif d'infrenatus, ce qui signifiait sans frein (sans mors).

Les Berbères arabes, qui avaient une grande expérience dans la monte de camélidés utilisait un licol appelée Al Hakma qui a été également utilisé avec les chevaux. L’Al Hakma a été adopté par les Vaqueros après l’invasion de la péninsule ibérique par les Maures au 8e siècle. Quelque peu transformé (utilisation du rawhide) ce système a pris le nom de Jaquima. Pendant l'occupation des Maures, l'usage du mors s'est répandu, venant de l'étranger, et s'est implanté petit à petit dans tout l'empire. Pendant les 800 ans suivants, certains Vaqueros ont néanmoins continué à employer le Jaquima, et son usage s'est exporté en Amérique du Sud pendant la conquête espagnole. Le côté pratique et disponible facilement du rawhide, opposé au processus ardu de l'obtention de métal et de son travail, a assuré au Jaquima sa pérennité en Amérique du Sud, centrale, et au sud des Etats-Unis, où il s'est petit à petit transformé en bosal et en hackamore.
Beaucoup pense aussi que l’équitation sans mors nous vient des indiens, hors l’image de l’indien chevauchant à cru et sans bride en parfait harmonie avec les éléments de la nature et son cheval tient simplement du mythe !
Alors qu’en est-il vraiment ?
La relation des indiens d’Amérique avec le cheval est source de nombreux fantasmes, les opinions allant d'une vision poétique de bons sauvages capables d'incroyables et mystérieuses prouesses équestres, à celle de barbares exploitant le cheval dans la brutalité. La difficulté à connaître la vérité est en grande partie due au fait que les peuples amérindiens n'ont légué aucun écrit : quand les premières études ethnologiques ont lieu, leur culture s'est déjà considérablement modifiée sous l'influence des colons européens et de leurs descendants. De plus, aucune recherche n'a été faite avant le XXe siècle concernant leur maîtrise de l'élevage et de l'équitation.

Les amérindiens sont vraisemblablement devenus des peuples cavaliers en raison de leur mode de vie nomade, impliquant un contact étroit et permanent avec le cheval, et de leur spiritualité tournée vers la survie.
La légende de l'arrivée du cheval dans les tribus indiennes diffère légèrement selon les peuplades. Pour les Nez-Percés, ce sont les Shoshonis qui l'ont apporté avec eux, et eux-mêmes le tenaient des Comanches. C'est certainement la version la plus probable puisqu'il est notoire que les espagnols du Nouveau Mexique se faisaient régulièrement voler des chevaux par les Comanches.
Avant l’arrivée des chevaux, les Indiens des grandes plaines de l’Amérique du Nord se déplaçaient à pied et utilisaient alors le seul animal domestique connu, à savoir le chien, pour transporter leurs affaires comme les tipis grâce à des petits travois (perches liées au dos de l’animal, traînant sur le sol, et sur lesquelles on accroche du matériel). L’arrivée du cheval chez les Indiens est une véritable révolution. Avant cela, l’Indien avait le chien comme animal principal. Lors de l’arrivée du cheval, les Indiens mirent en place des techniques afin de dresser les chevaux.

La technique utilisée par les Sioux. En théorie, les poulains ne subissaient pas d’entraînement avant l’âge de trois ans. S’il était plus facile, à ce que l’on croyait de les dresser avant cet âge, il était prouvé que les poulains de plus de trois ans se montraient plus robustes et plus disciplinés. La première étape du dressage consistait à passer autour du cou de l’animal un nœud coulant. Tandis que le cheval se défendait, les hommes l’emmenaient progressivement vers le cercle du campement, les hommes tiraient d’un coup sec pour faire basculer le cheval à terre. Dans le même temps, l’un des hommes sautait sur lui pendant que les autres attachaient une jambe de devant à la jambe gauche de derrière. A chaque fois que le cheval essayait de se lever, il en était empêché par cette entrave et cela jusqu’à ce qu’il fut épuisé. Quand en fin de compte, il se laissait aller, allongé sur le sol, trop faible pour lutter, les hommes lui donnaient de petits coups de poing sur tout le corps et plus particulièrement sur le cou, les oreilles et le dos. Puis, ils posaient une couverture sur le dos de l’animal. Celui-ci reprenant alors courage, sautait pour essayer de se débarrasser de cette couverture, mais ses entraves le faisaient tomber à chaque mouvement. Quand le cheval n’avait plus assez de force pour s’en débarrasser, l’un des hommes s’approchait et sautait sur son dos. Il plaçait avec la plus grande précaution un licol autour de sa tête, dès que l’animal s’habituait à celui-ci comme à son cavalier, les hommes 6/7 recommençaient à le frapper, à lui donner de petits coups de poing, à le flatter et à lisser sa robe. Puis, avec mille précautions, on enlevait les entraves. Le cheval se mettait alors à trotter en supportant son cavalier. Ceci pouvait demander une journée. Quelques chevaux particulièrement récalcitrants exigeaient deux jours de dressage.
Les Comanches, quand à eux, sélectionnaient un cheval dans le troupeau, le séparaient des siens, et le faisaient longtemps galoper avant de le conduire vers une rivière ou vers la mer. Quand il avait de l'eau jusqu'au ventre, le cheval était encadré par deux chevaux montés et l'un des cavaliers montait sur son dos. Ainsi, même désarçonné dans l'eau, le cheval et son cavalier ne se blessaient que rarement. Dans l'eau, le cheval se fatiguait vite et, une fois qu'il avait accepté le cavalier et le licol, l'Indien le menait dans une eau moins profonde pour lui apprendre à tourner, à s'arrêter, etc...

Pour ce qui est du harnachement utilisé par les indiens, quand ils ne réutilisaient pas les
harnachements importés par les conquistadors et qui étaient bien souvent volés avec les chevaux, ils passaient une corde en cuir cru dans la boucle du cheval, enserrant sa mâchoire inférieure. Les deux extrémités de cette longue corde formaient les rênes.
Bref nous sommes bien loin de l’image que nous nous faisons de l’indien vivant une complicité sans fin avec son cheval.
[1] Maria Franchini, Les Indiens d'Amérique et le cheval, Zulma, 2001, 295 p. (ISBN 2-8430-4204-6)
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